Et ceux qui vont en mer…

On dit que sur la terre, il y a trois sortes de gens : les vivants, les morts, et ceux qui vont en mer.

Chers HEOnautes,

Il y a dans cette phrase un écho profond, presque mystique. Ceux "qui vont en mer" y forment une caste à part, ni tout à fait des vivants, ni encore des morts, mais des êtres suspendus, entre les marées et les songes.

Dans le silence d’un mouillage désert ou dans le fracas d’un grain imprévu, nous avons tous ressenti, un jour, ce glissement hors du monde ordinaire. Ce moment où le temps se dilate, où les repères se dérobent, où l’on devient autre. Marin d’un jour ou vagabond de l’océan, chacun, à sa manière, quitte la terre pour toucher l’essence d’un ailleurs.

Mais au XXIᵉ siècle, que signifie encore "aller en mer" ?
Dans un monde saturé de connectivité, de vitesse, d’images, et de contrôle... partir en mer est-ce une fuite ? Une quête ? Une rébellion douce ? Une forme de sagesse ou un anachronisme romantique ?

La technologie nous suit à bord, les applications météo prédisent les vents, les GPS tracent nos routes, les AIS nous rendent visibles. Alors sommes-nous encore vraiment "ceux qui vont en mer", dans le sens profond que ce proverbe suggère ? Ou bien sommes-nous devenus de simples touristes du large, jouant à s’éloigner sans jamais vraiment partir ?

Quels sont vos pensées :

Qu’évoque pour vous cette phrase ?
Avez-vous déjà eu l’impression d’appartenir à ce "troisième genre" ?
Que reste-t-il de cette appartenance dans notre époque moderne, connectée, normée ?
Pourquoi continuons-nous à "larguer les amarres" ?

Au plaisir de vous lire...

  • Proverbe ancien, attribué parfois à Aristote.
L'équipage
2j

allez, pour la réplique que cela m'inspire : "C'est curieux chez les marins, ce besoin de faire des phrases" :-)

plus sérieusement, je dirais que cela représente la différence entre l'aventure et le rêve .

Après, on peut rêver d'aventure :-)


Il y a les vivants, les morts, et ceux qui retapent leur bateau sur le chantier.


Flora :):;-) bah c'est pour la bonne cause ! Tout a une fin... bon courage !·le 27 mai 08:16
ED850:T'es de nouveau sur un chantier?·le 28 mai 06:05
tdm2023:Encore ou de nouveau, je ne sais plus. La remise à l'eau est comme l'Arlésienne.·le 28 mai 09:28

Schrodinger. Voilà ce que ça m'inspire.


Plutôt attribué à Anacharsis, philosophe grec du VIe siècle av JC. Au XXIe siècle, malgré tout les instruments modernes qui facilitent l'accès à la navigation et pourraient nous déconnecter de notre environnement, je crois que l'on peut en bateau parfois se sentir en retrait du monde, le plus souvent pour moi la nuit en navigation solitaire, quand on n'a plus de signes de présence humaine, et que la seule perception est celle de la nature, ou même plutôt de l'univers qui nous entoure. Cela provoque une vague sensation de survoler la planète, ou au contraire un sentiment d'immersion dans l'océan qui nous porte. On peut donc avoir cette impression de ne plus appartenir au monde des vivants ni à celui des morts, mais plutôt qu'un sentiment de déconnexion, c'est pour moi un sentiment de communion avec notre monde… Mais je crois que ce n'est pas réservé à "ceux qui vont en mer" : ceux qui gravissent une montagne, ceux qui arpentent les déserts, ceux qui scrutent les étoiles, et bien d'autres encore doivent éprouver ce genre de sentiment. Mais je crois qu'Anacharsis ne se plaçait pas du point de vue de "ceux qui sont en mer", mais plutôt de ceux qui les attendent à terre. Là, on n'est plus dans le domaine de la perception, mais plutôt dans celui de l'incertitude et de l'inquiétude et des contingences sociales.


carpe diem:J'ai aussi ressenti cette "communion avec notre monde" à terre; par exemple en solo en Patagonie, assise au bord d'un lac avec quelques oiseaux indifférents à ma présence.·le 27 mai 13:28

Pour ma part je n'ai jamais eu l'impression d'appartenir à ce "troisième genre" comme évoqué par tom. Je suis un humain, donc un animal terrestre susceptible de s'aventurer sur la mer comme d'autres s'aventurent en gravissant des montagnes, ni plus, ni moins, et en naviguant je continue d'appartenir à mon époque moderne, connectée et normée.

Il n'en demeure pas moins que lors d'une longue navigation on puisse basculer dans un certain lyrisme, ce qui me fait penser à ces très beaux vers du poème "Les conquérants" de José Maria de Heredia:

Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré;

Ou, penchés à l'avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles.


Tom a écrit : "jouant à s’éloigner sans jamais vraiment partir"

Magnifique.

Cela fait toute la différence entre le touriste et le voyageur.

Permettez moi de poster cette photo qui m'inspire à chaque fois que je la regarde. C'est sur terre, mais comme le précise Ebraball dans sa belle analyse on peut faire un parallèle entre ceux qui vont en mer et ceux qui vont en montagne, en voyage, à la découverte de quelque chose de différent de notre quotidien...


Domde:Nicolas Bouvier, « l’usage du monde » voyage initiatique dans les années 50.·le 27 mai 14:41
San Marco:@ Domde : merci ! Content de voir que certains le connaissent ! 🙂 (ici photo tirée du livre "l’œil du voyageur") ·le 28 mai 08:28

Pour moi :
On ne va jamais aussi loin que quand on ne sait pas où on va...
C'est la découverte qui est intéressante, ce que permet la navigation à voile, en autonomie.


Belle phrase de Tom : "nous avons tous ressenti, un jour, ce glissement hors du monde ordinaire"

Pour faire court, voici trois photos qui illustrent cette phrase ;
- un jour : l'enfance
- un glissement : une joie profonde, intense voir indicible, la sérénité, la vraie. Tout ce que n'ai jamais réussi à vivre à terre depuis 50 ans
- du monde ordinaire : la vie à terre.


Quand je mets les pieds à bord, le temps n'est plus le même, c'est immédiat et c'est bon !
Que je fasse des ronds ou que je parte plus loin je suis ici mais en même temps je suis ailleurs. Je sais que ce paradoxe n'est pas a priori facile à appréhender, et je vous jure que je prends pas de produits :-)

A bord, je suis simplement heureux, et je prends ce que la Mer veut bien me donner.


Ce soir, on écoute le 5/7 de France Inter de demain matin (merci le décalage horaire) ou ils parlent de la BD sur La Longue route de B Moitessier. Ils citent "On ne demande pas à une mouette apprivoisée pourquoi elle éprouve le besoin de disparaître de temps en temps vers la pleine mer. Elle y va, c’est tout, et c’est aussi simple qu’un rayon de soleil, aussi normal que le bleu du ciel".
Aller sur la mer c'est ça.


En mer je m'aperçois que le Moi, auquel parfois j'ai trop tendance à tenir compte, m'est en réalité totalement insignifiant. Ma petite personne, l’attachement à ce que je pense être, à ce que je voudrais être, à l’image que je voudrais donner me paraissent totalement artificielles et inutiles quand je navigue. C'est comme un processus alchimique qui m'épure, me déleste de l’inutile, du superflu. Je prends conscience de mon âme. La mer me montre la voie à suivre.


Hello,
Allez, pour le plaisir, je vous remets les premières lignes de "Gagner la guerre" de Jaworski, histoire d'ajouter une touche un peu moins lyrique au fil...

"Je n'ai jamais aimé la mer.

Croyez-moi, les paltoquets qui se gargarisent sur la beauté des flots, ils n'ont jamais posé le pied sur une galère. La mer, ça secoue comme une rosse mal débourrée, ça crache et ça gifle comme une catin acariâtre, ça se soulève et ça retombe comme un tombereau sur une ornière ; et c'est plus gras, c'est plus trouble et plus limoneux que le pot d'aisance de feu ma grand-maman. Beauté des horizons changeants et souffle du grand large ? Foutaises ! La mer, c'est votre cuite la plus calamiteuse, en pire et sans l'ivresse."


Michel79:Excellent auteur, avec un style flamboyant et des univers complètement dingues. Je vous conseille aussi la série "Rois du monde".·le 28 mai 15:23
12h12h

Allez tiens, si on va dans le sens du post de Pat45, je dirais qu'on va avant tout sur la mer pour faire du bateau, rien de plus😏 ...

Mais bon, on peut aussi voir cet espace d'une manière différente, et sans pour autant tomber dans un romantisme quelque peu culcul la praline, je pense néanmoins que la mer a un statut particulier qui la distingue de tous les autres grands espaces sauvages de notre planète. Pour s'en convaincre il suffit de voir le grand nombre d'œuvres d'art consacrées à cet espace, particulièrement en peinture. D'avantage que d'autres cet espace est propice à la rêverie, au romantisme, à l'introspection, aux états d'âme qui vont de la mélancolie à l'exaltation, de la tristesse à la joie, et comme l'a écrit Baudelaire:

"La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer."


... c'est voler comme Icare au devant du soleil, en fermant sa mémoire à ce monde cruel ...


Menkar:c'est pas de moi, bien sûr·le 28 mai 13:53
Cabo Sao Vicente

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2022