Retour d'expérience d'un bateau-stoppeur

Bonjour!

Chose promise, chose due, voici le retour d'expérience d'un bateau-stoppeur!

J'espère que ce petit récit saura éclairer les personnes qui, comme moi, décident d'apprendre à naviguer sur le tas, en embarquant "au petit bonheur la chance".
Pour les autres, ces quelques lignes vous aideront peut-être à tuer le temps, en attendant le retour des beaux jours.

Pour vous mettre dans le contexte, il y a 3 ans, je ne connaissais pratiquement rien à la voile. J'étais juste un petit gars en quête de liberté, qui pensait que les bateaux c'était "cool", et que les marins étaient les personnes les plus libres, autant physiquement que spirituellement.
Bref, j'en étais là:
www.hisse-et-oh.com[...]eophyte

Je vous rassure, je n'ai pas changé d'avis entre-temps. J'ai acquis un peu d'expérience et fait des rencontres qui m'ont beaucoup appris. Mais au final, la seule chose dont je suis persuadé, c'est que je n'arrêterai jamais d'apprendre! Tout simplement, parce que la mer est changeante et qu'elle nous force à évoluer en tous temps, au gré de ses caprices et de ses rencontres. (je ne sais plus où je l'ai pompée celle-ci)

Passons à des choses plus concrètes:

Pourquoi choisir le bateau-stop et comment s'y prendre?

Si comme moi, vous n'avez pas beaucoup de moyen et aucun ami dans le monde du nautisme, je pense que c'est la solution la plus adéquate. Par contre, attention, c'est une méthode assez aléatoire! Elle nécessite d'être adaptable, ouvert d'esprit, et surtout, de croire en sa "bonne étoile".
Je m'explique:
Vous ne saurez pas vraiment dans quoi vous embarquez:
- Le skipper est-il compétent? Saura-t-il être patient et pédagogue?
- Est-ce que je m'entendrai bien avec l'équipage?
- Le bateau est-il fiable?

Si vous ne pouvez pas y répondre, allez-y au feeling! C'est ce que j'ai fait.
Pour embarquer, il y a deux méthodes qui marchent très bien: Internet, via les bourses aux équipiers, et le culot, en allant directement se promener sur les ports.
Pour ma part, je me suis principalement servi des bourses en ligne, du fait qu'à l'époque, j'habitais assez loin des côtes.

1ère Navigation hauturière:

Grâce à cette bourse, www.bourse-aux-equipiers.com[...] , j'ai pu contacter un professionnel qui devait convoyer un catamaran depuis les côtes Varoises, jusqu'en Croatie en Octobre 2016. Descendu 3 jours avant en méditerranée, je reçois un mail m'expliquant que le convoyage est annulé...Et oui, c'est aussi ça le bateau-stop...
Qu'à cela ne tienne, je reprends mes recherches sur les bourses, et c'est sur celle d'hisse-et-ho que je trouve un plaisancier qui prévoit de faire un aller-retour Marseille-Baléares. Son embarcation est un Jouët 24 et nous serions 2 équipiers en plus du capitaine pour aller jusqu'à Barcelone. Je tape "jouet 24" sur google et je me rends compte que c'est assez "petit" comme voilier. Le courant est plutôt bien passé au téléphone, et bon, il y a un moment où il faut se lancer.

Quelques jours après, me voilà au point de rendez-vous. Je découvre le bateau et son capitaine pour la première fois. Nous partons dans quelques heures, le temps de m'installer et d'attendre l'autre équipier.
Ma première pensée en montant à bord? la voici: "hoo la vache, il y a vraiment des gens qui traversent les mers sur des petits machins comme ça?"
En discutant avec le capitaine, je prends conscience qu'il n'a pas tant d'expérience que cela. Il a acheté ce voilier en copropriété il y a moins d'un an, alors qu'il n'avait jamais fait de voile avant.
A son actif, quelques ronds dans l'eau et une traversée Continent-Corse avec ce petit bateau. L'avantage, c'est qu'il connaît bien son voilier. De plus, nous parlons le même langage:
- "Tire la corde jaune, on va tourner à droite."
- "Ok, je l'enroule sur le truc qui tourne?"
Peut-être que j'exagère un peu, mais on ne devait pas être loin du compte. Rien à voir avec cette langue barbare qu'il m'a fallut apprendre sur d'autres traversées.

Bref, j'ai quelques appréhensions avant le départ. Il ne faut pas que l'on tarde trop à faire cette traversée du Golfe du Lion La météo s'annonce moins bonne dès le lendemain. Cependant, le capitaine est confiant. Il fait aussi de la montagne et à l'air de bien connaître la gestion des risques. Je décide de lui faire confiance, je sens qu'il est passionné et qu'il m'apprendra plein de choses pendant ces quelques jours. (Ce qui fut le cas.)

Son ami et équipier arrive enfin, nous voilà parti pour 180 miles nautiques. Nous sortons du port vers 17 heures, cap sur Barcelone avec une jolie brise de travers.
30 minutes plus tard, le premier équipier dégueule. 20 minutes après, c'est mon tour... Je me doutais que j'y passerais, mais bon dieu, qu'est-ce que ça bouge un petit bateau... Le mal de mer ne me quittera pas durant les 12 prochaines heures.

Il ne fait pas encore nuit que tout d'un coup,...plouf...
Le hors bord est à l'eau... En effet, la chaise du moteur s'est brisée. Heureusement que ce dernier était sécurisé avec un bout, il n'a pas pu couler malgré son intention. Quelle galère de remonter ce poids mort dans le bateau.
Le moteur n'est plus utilisable et prend beaucoup de place dans un cockpit que je trouvais déjà petit.

Le vent mollit avec l'arrivée de la nuit, mais nous gardons la même configuration de voilure. Je me souviendrai toujours de cette phrase du capitaine: "il vaut mieux être sous-toilé que sur-toilé, et dans le doute, réduit!"
C'est aussi la première navigation de nuit pour l'autre équipier, et je dois avouer que nous n'en menons pas large. Nous décidons de faire nos quarts ensemble.
La lune est magnifique et éclaire la mer, ce qui nous rassure beaucoup. Le pilote automatique gère très bien et nous n'avons qu'à surveiller les lumières et le cap.
Le sillage du bateau brille d'une couleur verte.. "C'est quoi ce délire? il est magique ce bateau?". J'apprends plus tard qu'il s'agit de phytoplancton qui se détache de la carène. Le quart terminé, je vais me coucher dans mon cercueil. Il est difficile de dormir durant sa première nuit en mer. De plus, le vent commence à fraîchir.

Je me réveille en sursaut. Je ne suis plus sur le matelas, mais sur la cloison. Le voilier gîte de façon inquiétante. J'entends le capitaine qui galère sur le pont avant du bateau. Il change le foc pour un tourmentin.
Intérieurement je pense: "Qu'est-ce que je n'aimerais pas être à sa place". C'est que ça secoue pas mal à l'avant!
Il fait encore nuit et le vent fraîchit jusqu'à force 5-6. Les vagues se fracassent sur la coque, là où j'ai ma couchette. Il est impossible de dormir, et de toute façon, c'est bientôt l'heure de mon quart. "Bordel, mais qu'est ce que je suis venu foutre ici?!"

Quand le jour se lève, les vagues paraissent moins impressionnantes, jusqu'à ce que l'une d'entre elles me passe par dessus. Je suis trempé et effrayé. Le vacarme et la gîte ont réveillé tout le monde. Le capitaine vient me voir et m'explique que le pilote automatique n'est plus capable de faire son taf. Il faut barrer!
Pour atteindre Barcelone, nous devons avancer travers au vent. Seulement, les vagues sont trop hautes pour maintenir ce cap. La technique consiste donc à présenter le cul du bateau à la vague lorsque celle-ci arrive, et reprendre son cap lorsqu'elle est passée.
Le capitaine reste une vingtaine de minutes avec moi, le temps que je maîtrise, et que je reprenne confiance.
Un petit bateau, c'est très réactif, et on prend vite goût à ce petit jeux de surf avec les vagues.

Pour ce qui est de la nourriture, on se contente de nouilles chinoises déjà toutes prêtes. C'est simple, mais qu'est ce que ça fait du bien! Le bol tient chaud entre les cuisses. Dans ces conditions, aucun d'entre-nous n'est prêt à cuisiner quoi que ce soit, peut-être une salade, à la limite.

L'après-midi, le vent commence à mollir et la navigation devient un peu moins sportive. Je réussit même à dormir durant la nuit.

Le lendemain matin, à l'approche de Barcelone, nous contactons la capitainerie pour qu'ils viennent nous chercher, le moteur étant toujours dans le cockpit. Une fois amarré, nous pouvons enfin nous reposer dignement.
Nous avons bien mangé, bien bu et visité cette ville. Ah! ce que nous étions fiers en ce promenant dans les rues. Nous racontions notre petit périple à tout ceux qui voulaient l'entendre autour d'une bière.

Peut-être que ces lignes en feront sourire certains d'entre vous, mais je peux vous dire qu'à l'époque, avec les maigres connaissances que j'avais, cette petite traversée m'a fait l'effet d'un exploit.

2 jours plus tard, le moteur est à nouveau en place. Le capitaine est un pro de la débrouille!
Nous ne sommes plus que 2 pour le reste du voyage. Il nous est impossible de nous rendre aux Baléares, car les vents ne sont pas favorables et nous avons tous deux des obligations: lui, en France pour son travail, et moi, en Suisse pour l'armée.

Nous choisissons donc de remonter la Costa Brava, passer le Cap de Creux, et longer les côtes françaises. Or, la méditerranée est une chienne! Soit elle donne trop, soit pas assez. Nous avions déjà eu le trop, il était temps de découvrir ses autres facettes.

Partis en fin de matinée dans une petite brise avec les voiles en ciseaux, nous sommes aux près 2 heures plus tard avec un vent de 3 ou 4 nœuds. La nuit est plutôt calme et au petit matin, nous sommes dans la pétole avec un brouillard très dense. Il y a beaucoup de pêchus le long des côtes espagnoles et nous entendons des bateaux à moteurs. C'est toujours stressant de ne rien voir en mer, alors nous donnons des coups de cornes de brume de temps à autre.

Le vent se lève un peu et le brouillard se dissipe. Nous sommes toujours au près et n'avançons pas très vite. Nous allumons parfois le moteur.
La nuit tombe et nous nous arrêtons dans un petit port dont j'ai oublié le nom. De toute façon, il n'y a pas de vent, alors autant bien dormir.

Je ne me souviens plus très bien du temps qu'il nous a fallu pour atteindre Cadaqués, mais nous avons dû nous y abriter, car les conditions devenaient mauvaises.
Si vous passez par là-bas, c'est un arrêt que je vous recommande vivement. Il y a des bouées sur lesquelles s'amarrer et cette petite ville est très pittoresque. Sans oublier la résidence de Salvador Dali qui est aussi un musée.

Le lendemain après-midi, nous profitons d'une accalmie pour passer le Cap de Creux. Nous devons louvoyer toute la nuit pour atteindre les côtes françaises. Vers 3 heures du matin, j'aperçois une ribambelle de lumières rouges au loin qui forment comme une barrière. Je réveille le capitaine pour l'avertir de cette anomalie. Il sort, regarde, et lui non plus ne comprend pas d'où cela provient. Il n'y a rien d'indiqué dans le Bloc Marine. Nous continuons d'avancer, et les lumières se rapprochent. Le stress monte et nous changeons de cap, direction le large.
Au petit matin, avec l'arrivée du soleil, nous apercevons grâce aux jumelles d'où provenaient ces lumières inquiétantes. Il s'agissait tout simplement des parcs éoliens sur les terres de l'Hérault et ce n'était pas les éoliennes qui se rapprochaient, mais nous...
Il est très difficile d'évaluer les distances la nuit et je pense que nous avons pris la meilleure décision. On est jamais trop prudent, quitte à se sentir un peu idiot au réveil.

Le retour de la pétole nous empêche encore d'avancer et ma deadline est arrivée.. nous nous arrêtons à St-Cyprien pour que je puisse débarquer et prendre le train. Je dois être en caserne dans 2 jours.
Je me sens un peu mal de devoir l'abandonner, même si je l'avais averti avant d'embarquer.
Avec le recul, je me dis que j'aurais dû envoyer chier ma compagnie et continuer ce cabotage, qui était bien plus sympa!
Heureusement j'ai pu continuer à suivre son parcours sur internet grâce à sa balise GPS. C'est comme naviguer par procuration.

Je garde un très bon souvenir de ces quelques jours en méditerranée. Et même si ça n'a pas été facile au début, je rembarquerais volontiers à nouveau dans les mêmes conditions et avec le même équipage. Par contre, ce sera sur un voilier un poil plus grand pour mon 1m84. 10 jours à courber l'échine ce n'est pas très agréable.

Bref, je suis en caserne et je m'emmerde ferme. Chaque année, on a toujours trop de temps à rien foutre dans l'armée suisse. Fort heureusement, il y a le vin et les cartes qui permettent de tuer le temps, et c'est entre deux parties de jass qu'il me vient une idée à la con:
"Bon,... je viens de traverser une mer...et si je traversais un océan maintenant?"

2ème Navigation hauturière:

(Je suis présentement atteint de flemmingite aiguë et j'écrirai la suite une autre fois dans ce post)

L'équipage
10 mars 2019
10 mars 2019

à lire par tous ceux qui rêve d'aventure marine

mais il n'y a pas eu le feu dans le lac, seulement les éoliennes

10 mars 2019

voila un récit intéressant ,par un gars qui ne se prend pas la tête
et en plus il a choisi sans savoir un des plus sales coins au niveau méteo de la méditerranée , le golfe du lion et le cap creus
alain

10 mars 2019

Oui, et par chance il est tombé sur un bateau super marin, le Jouet 24 est un excellent bateau que j'ai beaucoup apprécié, y compris dans la brise (ce n'était pas mon bateau, juste équipier).

10 mars 2019

Merci MisterPétole,

j'ai bien souri en te lisant.

Tu dis que le skipper semblait bien gérer le risque ? Je dirai NON ! On ne part pas de Marseille à 17 h pour aller direct sur Barcelone avec des débutants, on commence par une petite "mise en jambe".

Et puis 2 semaines pour faire l'aller retour Marseille Baléares sur un 24 pieds ? C'est carrément utopique et très risqué. D'ailleurs vous ne l'avez pas fait...

Mais tout est bien qui fini bien, dans l'attente de tes prochaines aventures.

10 mars 2019

Je pense que la gestion des risques est quelque chose de très subjectif et dépend des contraintes que l'on a!

Si nous avions été 3 retraités avec le temps et les moyens, alors OUI! cela aurait été idiot de partir dans ces conditions avec ce bateau.

Mettre le pied sur un bateau, c'est déjà un risque en soit, qu'il y est 2 ou 40 noeuds.

Pour ma part, et au vue de mes expériences de vie, j'ai jugé que le risque était acceptable.
Je tiens aussi à préciser que nous étions aux normes de sécurités et avions loué un radeau de survie.

10 mars 2019

Histoire très sympa et intéressante, j'attends la suite !
Ça manque sur le forum, ce genre de retour d'expérience. Peu importe le lieu où le niveau de l'équipage, c'est toujours intéressant.

10 mars 2019

Les yavéka sont de retour !!!
Sinon :pouce:, pour ton vécu.

10 mars 2019

Bienvenue Spontex... :-D

10 mars 2019

"... apprendre à naviguer sur le tas, en embarquant "au petit bonheur la chance".

Belle lucidité !
Je lirai la suite avec plaisir.

10 mars 2019

récit empreint du réalisme qui sied aux aventuriers débutants... :pouce:
J'attends la suite... :heu:
Les "jauraipasfaiscommecà" peuvent dormir tranquilles! ils s'en sont sortis... :mdr:

10 mars 2019

toujours un plaisir rafraichissant de te lire ! :pouce:

10 mars 2019

Un grand plaisir à lire, ça nous rappelle que nous avons tous été débutants.
La seule chose que j'aurais peut-être fait différemment c'est... le retour à la caserne. Fuck l'armée, de toute façon la Suisse n'est pas prête à partir en guerre. :heu:

10 mars 2019

Effectivement récit très sympa, ce sera un plaisir de lire la suite!

11 mars 2019

Superbement écris, humilité et humour.´merci pour ce témoignage raffraichissant.

11 mars 2019

Oui très beau récit qui rappelle à ceux qui naviguent depuis longtemps le bonheur des petits voiliers bien marins. Il y a 40 ans je parcourrais de long en large le golfe du Lion sur un Sylphe avec ma jeune épouse et mon premier fiston. On apprenait à rester humble devant les éléments ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui du haut de nos 40 pieds !

11 mars 2019

Merci pour ce beau récit sympathique et plein d'humour !
:pouce: :bravo: :alavotre:

Bonsoir,
Ce récit, très « frais », me rappelle ma toute première sortie:
Je ne savais même pas qu’un bateau gîtait... on voit tout de suite mon niveau de marin de l’époque.
je me souviens de toute ma découverte sur tout. Mais le capitaine prenait soin de moi et tout s’est (à peu près) bien passé.
Bonne soirée,
Patrice

12 mars 2019

MisterPetole, merci pour ce récit, comme si on y était.
Vivement la suite.

Phare du monde

  • 4.5 (92)

2022