Un plaisancier courageux et chanceux [Doublon]

Le 7 Aout dernier, je convoyais seul mon Trimaran de Arzal vers Fouras. Une navigation côtière de 120 milles nautiques. Rien de compliqué pour moi, la prévision météo est belle, le vent 3/4 arrière, tout est OK.
Vers 15h30, alors que le bateau marchait bien, à une vitesse moyenne de 8-10 nœuds, et sous pilote automatique, j'étais assis sur le bras au vent, une jambe de chaque coté, une position stable. Ce dernier c'est baissé doucement, puis a remonté très rapidement. Dans ce mouvement de bascule, quand le flotteur sous le vent a retrouvé un appui sur le plan d'eau, j'ai été littéralement éjecté, comme catapulté. Je suis retombé sur le dos puis tombé à l'eau. J'avais un bout en main, et j'ai été tracté, sous le bras, le long de la coque du flotteur au vent. Mais impossible de remonter sur le bateau qui marchait toujours à 8-10 nœuds.
Après deux ou trois tentatives de remontée à bord, en buvant quelques tasses, j'ai compris que remonter serait impossible. J'ai fini par lâcher ce bout, en regardant mon bateau partir seul sou pilote. Il est 15h30. J'ai mis plusieurs minutes dans l'eau à retrouver mon calme et une respiration. J'ai mal au dos. Mon gilet de sauvetage s'est gonflé instantanément à ma chute dans l'eau. Mais avec le clapot assez important, soulevé par un vent d'environ 15 nœuds, je découvre que ce dernier me tient a peine la tête hors de l'eau. Je vois au Nord Est la cote du Croisic et et au Sud Ouest le grand parc Eolien en construction. Le vent du Nord Est semble me pousser vers le parc éolien. Je décide donc de nager sur le dos dans cette direction en gardant la cote du Croisic en vue. Je pédale des pieds doucement en essayant d'économiser mon énergie. Les éoliennes semble assez loin, mais par contre il y en a beaucoup et sur une étendue très large. Je me dis qu'il sera probable que je passe près de l'une d'elle, et j'y puisse trouver refuge. Je me demande si elles sont munies d'une échelle ? car une paroi pleine de moules et d'huitres ne me sera pas très utiles. Mais en réalité, je suis a 4 Milles nautiques des éoliennes. Je pédale déjà depuis une heure, en me retournant régulièrement pour vérifier mon cap, et je ne les vois pas vraiment grandir, s'approcher. Au vu du gigantisme de ces structures, il est vraiment difficile de s'avoir à quelle distance on est... Mais il y en a beaucoup, et de toutes façons, je ne peut luter contre le vent. Quand j'arrête de pédaler des jambes, j'ai froid. Si je pédale trop, je m'essouffle. Je dois trouver le compromis. Je ne peux nager des bras, car d'une part cela me fait mal au dos, et j'ai besoin de me soutenir au gilet pour rester le tête hors de l'eau... J’entends un bruit de moteur, et je repère un bateau de pêche qui visiblement ne va pas passer très loin de moi. Il est passé à environ 200m, et malgré mes gesticulations, il ne m'a pas vu, et je le regarde s'éloigner. Je me dis que la navigation dans et au prés du parc Eolien est sans doute interdite, qu'il y aura donc de moins en moins de bateau...
Mon bateau à moi fais route au 145. Il finira par arriver quelque part, et cela lancera sans doute des recherches, mais quand... Si on prolonge cette route, le bateau va passer à l'Ouest de Noirmoutier, et à l'Est de l'ile d'Yeu. a 10 Noeuds, l'Ile d'Yeu est à environ 4 heures, et si il ne percute pas cette ile, la prochaine cote est loin, Oléron ???
Au Sud Est du parc Eolien, le bateau des pilotes de Loire, la Couronnée est au mouillage en attente d'arrivées de cargos. C'est un bateau de 40m, avec une permanence à la passerelle. L'officier voit mon trimaran arriver droit sur eux. Il se dit que ce voilier va finir par changer son cap pour les éviter, vu qu'ils sont au mouillage. Mais le voilier continu son cap. Ils tentent un appel radio, pas de réponse. Il décide rapidement de mettre en route et tenter une manœuvre pour éviter l'impacte. Mais ils sont au mouillage et la manœuvre n'est pas vraiment opérante. Impacte ! mon trimaran par chance vient percuter la Couronnée, après seulement 7 milles nautiques au 145°. Environ 45 minutes après ma chute. Les pilotes ne voyant personne sur le pont, mettent un canot à l'eau et viennent inspecter le bateau vide de tout équipage. Ils trouvent mon téléphone, appellent ma femme qui leur confirme mon point de départ, Arzal, et ma destination Fouras. Ils appellent le Cross qui déclenche un plan de recherche. Les pilotes trouvent ma tablette avec mon programme de navigation et surtout la trace du bateau. On voit nettement la belle ligne droite de 8 Milles nautiques que le bateau a réalisé seul sans plus aucune correction de cap. Heureusement que le téléphone et la tablette n'était pas verrouillés par des codes... Ils transmettent les infos au cross qui dirige les recherches. Un bateau de la SNSM de St Nazaire est en route, 4 autres bateaux sur site sont mobilisés, et une veille attentives est demandé à tous ceux navigants dans le secteur, pêcheurs et plaisanciers....
Mais de ma position, il n'y a personne autour de moi, et cela fait bientôt deux heures que je pédale vers ces éoliennes, et dont je ne peux pas vraiment apprécier si je m'en approche ou pas, dans un gros clapot... J’aperçois un bateau de pêche qui semble venir à peu prés dans ma direction. Puis je vois aussi un plus gros navire qui lui fait une route perpendiculaire. Petit a petit le bateau de pêche s'approche, il devrait passer pas loin de moi. Je tente comme je peux d'agiter un bras en l'air en espérant qu'il me voit. Il est assez prêt pour que je puisse voir qu'il est en pêche, il traine, je vois les câbles. Pendant plusieurs minutes, je me maintiens le plus à la verticale possible en agitant mon bras gauche en l'air. Le gros navire à changé de cap et pointe vers moi. J'ai un espoir, je me dis ça y est, ils m'ont peut-être vu, mais pas certain. Moi je ne sais pas qu'ils me recherchent. Le bateau de pêche bien plus prés change de cap et pointe également vers moi... et là j'ai compris enfin que j'allais m'en sortir. Il s'approche doucement, me lance un bout, me ramène contre son bord, il est seul à bord. Il prend mon bras et me hisse sur le pont. La fin d'un grand stress pour moi. J'ai froid, je tremble de partout. Le cross lui demande par radio mon état, il m'enlève mon gilet, ma veste coupe vent, il me couvre avec un drap. La vedette SNSM de Saint Nazaire arrive. Tout va assez vite. Ils m'embarquent, me réchauffent. Un hélicoptère Dragon 56 déja sur zone débarque un pompier et une civière sur la SNSM. Avec mes fractures aux cotes, ils pensent que c'est la meilleure solution. Je suis hélitreuillé en civière et emmené directement aux urgences de Saint Nazaire. J'ai un peu d'eau dans les poumons, un début d’hypothermie, une cote cassé, un plaie sur le front recousue de 4 points.
Le Trimaran fait 9,50m de long par 8,40 de large. J'ai beaucoup d’expérience en navigation à la voile, mais quasi aucune en trimaran. j'ai appris à travers cette expérience que même en pesant pas loin de 100kg, on peut se faire catapulter très facilement par ces mouvements de plateformes dans un clapot formé, avec seulement 15 nœuds de vent. J'ai aussi appris qu'en solitaire, une balise de détresse personnelle est INDISPENSABLE ! Et pourquoi pas obligatoire. Si la trajectoire de mon bateau n'avait pas rencontré le Couronnée, je n'écrirais sans doute pas ces lignes... Merci à tous ces professionnels de la mer, au Pilotage de la Loire au Cross Etel, à la SNSM, au bateau de Pêche La Revanche, aux pompiers de l’hélico Dragon 56…
Un grand Désolé à ma famille et aux amis qui ont stressé durant ces moments éprouvants.
Pour cette fois, la vie continue. Je raconte ici mon expérience car je pense qu’il y a pas d’autres marins, plaisanciers, qui comme moi ne sont pas assidus au port du gilet par beau temps, et qui navigue en solitaire sans balise personnelle sur eux.

Doublon, mésaventure déjà en ligne : www.hisse-et-oh.com[...]t-point

L'équipage
12 août 2022
    Le Stromboliccio

    Phare du monde

    • 4.5 (25)

    Le Stromboliccio

    2022